Le court-métrage associatif comme tremplin vers le long-métrage professionnel : retour sur l'autoproduction associative

Article publié par Films en Bretagne le 4 mai 2020. Le confinement permet une pause, un recul, une réflexion pour tirer certaines conclusions de pratiques faites et observées depuis une dizaine d’années sur l’autoproduction associative bretonne afin de tenir un propos en trois temps, sur le cumul de l’expérience individuelle, l’aventure associative et la pratique de l’autoproduction audiovisuelle à échelle régionale.

Avec quinze ans d’activités audiovisuelles en autoproduction, fondateur et président d’association (Les Éditions BenGrem), sélectionné en festivals (Festival du Film de l’Ouest…), alternant la production et la réalisation sur une dizaine de projets, volontaire sans cesse à repousser les limites de la création associative, plusieurs considérations me viennent sur le chemin parcouru. Entamant mes premiers essais cinématographiques en 2003 à l’université, bouclant à Lorient mes cursus d’histoire-géographie pour le fond, de lettres modernes pour la forme et de droit public pour le concret, je m’investis dans l’associatif dès 2008 en parallèle de l’insertion professionnelle, obtenant le statut d’intérêt général en 2014, intégrant le collège des auteurs-réalisateurs de FeB en 2015, contribuant à la mise en place de la subvention régionale à l’autoproduction en 2017, et acquérant mes premiers visas d’exploitation CNC pour l’Art & Essai en 2019.

À vrai dire, la stature associative influence à la fois l’organisation de la production et l’essence créative de la réalisation. Jusqu’alors ambitieux de réaliser des long-métrages, le passage à l’autoproduction associative provoque une réduction du format en contrepartie d’une augmentation de sa qualité. Il est vrai que le court-métrage dispose d’une place particulière depuis la génération des millénaires – celle qui a vu l’apparition des plateformes de diffusion telles que Youtube, Dailymotion et Vimeo – le format court s’accommodant à un monde toujours plus rapide dans lequel le consommateur n’a qu’un temps limité d’audience. J’ose croire qu’un court-métrage percutant peut bénéficier de l’aura du succès s’il répond aux critères qualitatifs, mais il ne demeurera toujours qu’un tremplin : s’il fait bénéficier d’un élan à son concept, le but est de migrer, à terme, vers le monde professionnel du long-métrage.

En somme, faire ses gammes : l’art est dans l’imitation et sachant qu’on ne saurait reproduire à l’identique ce qui nous a inspiré, y découvrir les mécanismes qui transmettent de l’émotion, les employer et les maîtriser à petite échelle pour partager cette émotion au prochain spectateur est la meilleure des écoles, paraphrasant Kubrick. Ainsi, dans sa quête de qualité, le cinéma associatif copie les usages du monde professionnel afin de progresser, repoussant son plafond de verre matériel par l’inventivité, le temps d’une production généreuse voire bon enfant, Michel Gondry en témoigne. À cet égard révélateur, Crétacé Parc (2013) fut un court-métrage d’école reproduisant certaines scènes du film de Spielberg avec les moyens locaux (Parc de Préhistoire de Bretagne, Tropical Park, feu le Zoo de Pont-Scorff). Méprisé par une partie de la presse mais sélectionné en festival, ses extraits ont été diffusés aux États-Unis à l’occasion des 25 ans du film originel en 2018. Un parcours somme toute ordinaire.

Convaincu qu’à l’instar du roman, il n’existe pas une infinie de possibilités de faire du cinéma, limité comme tout format, le métier se renouvelle au fait de l’évolution de la technique, mais l’étendue de la nature humaine reste déterminée : il suffit de reprendre les productions en sciences humaines pour traiter son sujet. Que Montaigne se rassure : tout a déjà été écrit mais nous venons avec le cinéma. L’inventivité consiste à transférer ces données sur un nouveau format afin de s’adresser aux nouvelles générations par le vocabulaire qu’elles comprennent. Or l’associatif implique de trouver soi-même les moyens pour y parvenir, et ramener le cinéma à soi signifiait pour notre équipe de tourner près de chez soi et, plus institutionnellement, de tabler sur la valorisation du patrimoine de la région, sa promotion au travers des lieux historiques et paysagers, ligne éditoriale que les Éditions BenGrem suivirent et qui permit à l’association de bénéficier d’autorisations de tournage par dizaines – dont les deux bases sous-marines de Lorient et Saint-Nazaire pour Chroniques de l’Île Longue (2016).

Nos court-métrages se voulant à la fois ludiques et divertissants, découvrir la mise en scène des lieux communs suscite une sympathie ainsi qu’une immersion du spectateur local qui connait les endroits captés par les caméras et permet, à sa mesure, de se projeter dans le film. Or c’est à cette étape que manquèrent cruellement les moyens de diffusion des court-métrages produits localement, le format court se prêtant au festival. Loin d’un cauchemar, c’est la sélection en festivals et la confrontation comparative avec les autres productions qui permit, plus que les rares échanges avec le public, de s’auto-évaluer afin de progresser dans la qualité et dans l’ambition. Choc de terrain thérapeutique qui permet de se remettre en cause à chaque nouvelle production, le court-métrage associatif breton bénéficia d’une vitrine avec le Festival Amateurs Nés tenu à Elven durant deux éditions (2013-2014), faisant le pari d’une promotion d’un cinéma « amateur », en parallèle de l’autoproduction associative qui, elle, se différencie en cherchant à se rapprocher au plus près de la qualité professionnelle, pour recueillir un peu d’estime. En parallèle, si le cinéma d’art et d’essai, avec son caractère fadasse et pour lequel je n’ai aucun bon souvenir scolaire, si ce n’est une ou deux idées intéressantes de mise en scène qui se seraient prêté à un format court au lieu d’ennuyer ses spectateurs durant une longue heure creuse d’intention. Si celui-ci s’avère être le chanvre du politiquement correct et de l’uniformisation – si faciles soient-ils, la réalisation associative semble idéale pour la véritable prise de risque sans avoir à supporter trop de désagréments, comme tourner une fresque médiévale bretonne de 64 minutes type Analemnon – le Seigneur de l’Hermine (2015).

Cinéma singulier qui donne à voir et à penser, l’autoproduction associative engage l’auteur à la hauteur de l’ambition choisie, entre s’élever vers le haut (prônant la qualité et le dépassement des normes) ou s’enfoncer dans la bassesse (rester dans un confortable entre-soi, voire cloisonner le cinéma à une auto-thérapie d’auteur dont le commun des mortels se moque). Le piège demeure de tomber dans la vanité d’apporter la lumière à son spectateur : rien de pire qu’un court-métrage infatué, moralisateur, apodictique qui entend sermonner de sa propre hauteur son auditoire. Il ne faudrait pas insulter l’avenir. Qui plus est, la structure associative permet à l’auteur-réalisateur de s’essayer à des styles peu conventionnels tels que le cyberpunk (Bye-Bye Bird, 2012) ou encore le steampunk (Le Royaume à Vapeur, 2020) afin de donner vie à un cinéma singulier, peu représenté mais source de plaisir créatif.

Car c’est la notion de plaisir qui guide la création associative, l’étincelle impulsive vient d’abord de soi puis implique les autres dans sa concrétisation matérielle : un film nécessite une équipe et, si l’époque est formidable pour développer le chantier de la fiction en Bretagne – les moyens de captation et de montage n’ont jamais été aussi accessibles – les associations de cinéma se limitent à une cinquantaine pour une région à quatre départements peuplés de 3,3 millions d’habitants.
Bien que la plupart des associations audiovisuelles se disloquent au bout de cinq années d’existence, celles qui demeurent renouvellent leurs équipes, poursuivent méthodiquement leur montée en gamme et bénéficient dans leur effort de la subvention à l’autoproduction associative mise en place par la Région Bretagne en 2017, initiée par plusieurs associations dont Court en Betton. A ce titre, la mise en réseau desdites associations de production audiovisuelles de Bretagne (R.A.P.A.C.E.) permet, outre des études de terrain révélatrices des tendances régionales, de comparer les différentes méthodes débrouillardes d’équipes qui ne se connaissent ni ne se sont jamais rencontrées.

Mais au-delà de l’étape d’identification et de référencement, doit suivre logiquement le temps des coproductions inter-associatives qui apparait comme le meilleur moyen d’autoproduire des court-métrages d’envergure. Plus c’est gros, plus ça se voit – encore faut-il qu’entre les membres des différentes associations, l’idée du cinéma soit similaire. À la vue des 1ères Assises du Cinéma Associatif de Bretagne tenues le 15 février 2020 à Rennes, peu d’équipes sont enclins à partager leur temps, leurs membres, leurs matériels pour des projets qui ne sont pas totalement les leurs, illustrant ainsi la fragilité de l’audiovisuel associatif, milieu qui épouse les caractéristiques de l’initiative personnelle : éparse mais inventif, dynamique mais temporaire.

À notre sens, par-delà les structures, ce sont les projets de films qui sont les plus disposés à permettre cette mutualisation des moyens et à constituer la vitrine du cinéma associatif émergent de Bretagne.

L’autoproduction associative propose néanmoins de réinventer l’engagement individuel dans les métiers audiovisuels en impliquant jusqu’aux professionnels. Lesquels, s’accordant le temps d’une pause en venant nous conseiller sur les plateaux de tournage, nous l’ont confirmé plus d’une fois : en transmettant leurs savoirs aux générations montantes, ils renouent avec le plaisir du métier.

Benoît J. Grémare
Auteur-réalisateur
Président des Éditions BenGrem